Balade de Bruxelles à Bordeaux via l’itinéraire « scandibérique », soit l’Euro Vélo 3
Du 3 au 21 juin 2022
Tandem anonyme, non baptisé mais bien rôdé, de Damien
Poste de pilotage : Damien Duvivier , captain, pacha ou pilote dans le jargon des tandémistes
Poste de pédalage : Pascal Coulon, stoker, machiniste ou- selon Cyclone-A- passager
Jeudi 2 juin, veille du départ
Un jour après avoir équipé le vélo d’une selle en cuir , d’un guidon cintré muni d’épaisses poignées et de cornes ergonomiques, ainsi que d’un porte-bidon amovible, Damien fait ressouder la base côté cassette, avant de le consolider à l’aide d’un long fil très serré. Malgré ses gants de cuir, il en aura les doigts meurtris.
De mon côté, j’ai utilisé avec économie l’énorme sacoche prêtée par un ami de Damien. Pourtant, la suite prouvera que j’ai pris deux fois trop de vêtements… tout en oubliant des articles d’hygiène. Bêke, pouah, bêke, pouah…
Vendredi trois juin , jour du départ, première étape, de Bruxelles à Etrepont ????
Je me réveille en sursaut. Je ne suis pas prêt. J’ai sûrement oublié des choses importantes.
Huit heures et quelque, coup de sonnette.
Je descends l’escalier quatre à quatre. Damien, lui semble fin prêt.
Nous démarrons. Passons d’abord chez lui pour y déposer la clé de maison et lui emprunter un rasoir que je croirai jusqu’au bout être un rasoir pour dame tant j’aurai du mal à me raser la moustache. Lame très longue et large , et manche tarabiscoté… Sans doute me manque-t-il un ou deux doigts fins pour pouvoir l’utiliser correctement !?
Gare du Midi. Empruntons un escalator pour monter le tandem et Nous courrons sur les quais pour trouver la voiture adéquate, à destination de Charleroi. Ouf, le timing était serré.
À Charleroi, rebelote. Damien descend et monte le tandem dans des escaliers pas vraiment conçus pour déplacer un tel engin, même à pied !
nous prenons la correspondance pour Erquelinnes de façon à nous rapprocher de l’itinéraire EV3.
Une fois débarqués, nous traversons la frontière sans rien déclarer. Assez vite, nous rejoignons l’EV3 et longeons l’Oise. Passons devant plusieurs gares désaffectées, reconditionnées en habitations. Damien me signale un parc d’éoliennes. Des avions de chasse déchirent mes tympans jusqu’à dix-sept heures. Fin des vols à l’heure de Fermeture des bureaux sans doute?
arrêt dans un magasin d’alimentation générale : notre panier contient notamment des fraises et du maroilles. Mangeons à une table de pique-nique avant de faire une sieste.
Arrivée à l’étape du jour : Etréaupont. Avons roulé 80 km. Nous logeons dans un hameau isolé sans aucun commerce.
Accueil agréable. Une petite contrainte toutefois : pas question de circuler en chaussures à l’étage !
Samedi quatre juin, deuxième étape
D’Etréaupont à Noyon : 80 km.
Damien fouille ses bagages. Où donc est passé le digipass indispensable pour payer le prochain gîte.
Petite annonce: mon pilote perdant régulièrement ses gants droits, il se retrouve à présent avec cinq mitaines gauches. Aussi cherche-t-il donc des cyclistes propriétaires de gants droits esseulés pour échange en vue d’un rééquilibrage.
Traversons Guise. Centre animé. Familistère créé par André Godin. Les bâtiments sont encore entretenus aujourd’hui et toujours habités. Dans le parc du familistère, près de l’Oise, un arbre est suspendu au cœur d’une structure en bois que Damien a pris en photo. Nous longeons la Sambre, l’Oise et le canal de Saint-Quentin. Nous passons d’une rive à l’autre, tantôt à l’ombre des arbres, tantôt à découvert.
À Noyon, nous logeons dans un gîte présentant de nombreux dénivelés, plein de marches montantes et descendantes. Sacré gymkhana pour le miro que je suis !
D’autres touristes de passage sont venus à bord d’une deux chevaux customisée aux Pays-Bas par Kitcar. On dirait vaguement un roadster Morgan. Le tisonnier, c’est-à-dire, le changement de vitesse au tableau de bord a été allongé et abaissé pour se retrouver entre les sièges. Pour s’asseoir, le conducteur est obligé de retirer son volant amovible. Encore une Citron bricolée suivant le système D, comme dans débrouillardise !
Dimanche cinq juin, troisième étape 80 km de Noyon à Senlis.
Visitons Compiègne sous la pluie Après avoir traversé le parcours d’une course cycliste et discuté avec un coupe de cyclotouristes néerlandais partis pour un périple de plusieurs mois. Nous roulons dans la ville. Palais impérial, théâtre impérial, nombreux parcs, roulottes de forains, beaucoup de villas cossues, etc. Arrêt à la place Général de Gaulle. N’avons pas vu le wagon de l’armistice ; celui-ci est éloigné du centre et garé sous un abri. Pendant notre pique-nique sur un banc public, un Manouche nous demande à plusieurs reprises si nous n’avons besoin de rien. Avec une grande naïveté teintée d’une pointe de méfiance, nous répondons que non. Après réflexion, peut-être aurions-nous pu lui acheter des produits dopants voire des articles chouravés dans les riches propriétés entourant la ville ?
Dommage, j’aurais bien aimé testé de l’érythropoïétine pour oxygéner davantage nos muscles. Le Manouche nous laisse enfin en disant devoir se rendre à l’église…
Damien me signale une statue dédiée à Guynemer, l’as des as, dont l’avion de chasse Spad était propulsé par le fameux six-cylindres en ligne Hispano-Suiza. C’est d’ailleurs l’emblème fétiche de l’aviateur, la cigogne prenant son envol, qui ornera le bouchon de radiateur des puissantes et rapide voitures hispano-helvético-françaises.
Dans l’après-midi, à l’entrée de la forêt de Senlis, nous affrontons une montée à seize pour cent. Nous démarrons près d’une église entourée d’un cimetière et mettons toutefois pied à terre afin – cela va de soi ! – de ménager la machine! Devant cet acte de commisération pour nos chaînes, un automobiliste nous dépasse en levant son pouce.
Plus tard, nous slalomons entre de nombreux plans d’eau. Changements de cap incessants par rapport au soleil et au vent.
Devant l’hôtel Ibis de Senlis, une aire de chargement rapide (30 minutes !) rassemblait pas moins de huit Tesla. Nous profitons de l’hôtel pour recharger nos propres batteries de type musculaire en huit heures…
Lundi six juin, jour de la Pentecôte
Quatrième étape : 77 km de Senlis à Paris en passant par la forêt d’Hermenonville où Jean-Jacques Rousseau avait l’habitude de déambuler.
Temps idéal pour rouler à vélo. Pique-nique près d’un lavoir et sieste troublée par la proximité de l’aéroport Charles de Gaulle. Pas de sommeil possible ; en revanche, Damien peut observer de gros porteurs volant à basse altitude. Entrons dans Paris via Aulnaye-sous-Bois et le canal de l’Ourcq. Traversée du Parc des sciences et de la Géode. Circulation dense. suivons les bandes réservées aux autobus. Damien se concentre à la fois sur le GPS, la carte, les voies cyclables et le trafic intense. Nous ne comprenons pas bien le fonctionnement des feux. Les cyclistes parisiens non plus d’ailleurs !
Sommes assourdis de sirènes. Une astuce mnémotechnique donnée par Damien pour distinguer les différentes sirènes à deux tons : les pompiers font « Au feu ! Au feu ! » tandis que le SAMU crie « Tiens bon ! Tiens bon ! et la police hurle « T’es cuit ! T’es cuit !».
Aladin est un Petit hôtel dans la rue des Cordelières, pas loin de la Place d’Italie. Damien cadenasse le vélo au cerclage métallique ceinturant un arbre qui fait face à l’entrée de l’hôtel. Le réceptionniste de nuit promet de garder un œil sur le tandem . Mais ce dernier lui sera caché par un camion…
Près du boulevard des Gobelins, nous nous empiffrons de sushi dans un restaurant japonais proposant un buffet à volonté.
Mardi sept juin, Cinquième étape mixte : vélo et train de la gare de Lyon à Montargis.
Nous décidons de prendre le train à la gare de Lyon jusqu’à Montargis avec correspondance à Melun.
Près de la gare de Montargis, Hôtel Dorémi, chambre confortable et abri sûr pour le tandem. Après une bonne douche, Nous visitons la ville, repérons une série de snacks proposant du kebab. Notre choix se porte pour la terrasse calme d’un restaurant indien.
Soirée bizarre au CHAM , centre hospitalier de Montargis. Venu consulter un généraliste pour son état grippal et se voyant invité à subir des examens inutiles qui risquent de durer la nuit entière, Damien se sent piégé. Aussi s’empresse-t-il de sortir après avoir signé une décharge… Est-il besoin de préciser que Nous filons de là en quatrième vitesse, soit l’équivalent du troisième plateau, septième pignon…
Mercredi 8 juin
Pas de vélo aujourd’hui. Faisons relâche et passons la journée à l’hôtel de Montargis
Petite lessive. J’applique le truc qui consiste à tordre la serviette enroulée autour des vêtements à sécher. Méthode très efficace !
Jeanne d’Arc serait passé dans cette ville le 19 septembre 1429 pour bouter l’Anglois hors de France.
Ce soir-là, les Belges battent les Polonais six buts à un.
Jeudi 9 juin Sixième étape, de Montargis à Sully-sur-Loire en longeant le Loing et en traversant de belles étendues champêtres.
Temps idéal pour rouler : légère brise, température clémente. Halte à un marché pour acheter de quoi manger. Concours de cracher de noyaux de cerise. Damien dit cracher les siens à plus de sept mètres (après un détour par Marseille sûrement), tandis que moi, je ne dépasserais pas le mètre. Je veux et j’exige un arbitre clairvoyant et impartial !
Le pilote / mécano ramasse un chiffon en bord de route et nettoie les chaînes et les lubrifie. Du coup, nous gagnons aisément un demi-kilomètre par heure ?!
C’est que, mine d rien, malgré le poids des bagages et la flemme de nos mollets, le tandem descend rarement en dessous des vingt-deux kilomètres à l’heure.
Arrivée à Sully-su-Loire. Logeons à l’hôtel La Tour, dont la réception est défendu par une armure vide et factice. Allons voir le château de Sully. Trop tard pour visiter les appartements intérieurs. Nous contentons de marcher dans les jardins. Prenons quelques décharges électriques sur un pont flottant . Dînons d’une pizza et d’une salade César. Damien reste sur sa faim. J’écluse le reste du vin. Vin propice à une discussion s superficielle sur des sujets profonds. Ou bien est-ce une discussions approfondie sur des sujets superficiels ?
Vendredi 10 juin, septième étape, de Sully-sur-Loire à Orléans
Belle journée. Traversée d’une réserve d’oiseaux. Sommes-nous en pays d’oïl ou en pays d’oc. Bah, nous nous contentons de dire oui en français.
Ce matin, énorme surprise : tout en roulant, Damien commence à déclamer des alexandrins :
"Le long du coteau courbe et des nobles vallées, les châteaux sont semés comme des reposoirs...".
Ça alors, il me faut rouler en tandem pour entendre du Charles Péguy. Dire que Damien prétend ne pas avoir de mémoire. Il cache bien son jeu. J’ai failli perdre les pédales, vider les étriers. Il me faut du temps pour me remettre de cette surprise.
Traversons plusieurs fois la Loire. Ce ne sont pas les ponts qui manquent.
Mince ! J’ai oublié un étui à lunettes contenant un double chargeur et deux câbles courts à l’hôtel La Tour. De plus nous avons omis de payer le petit-déjeuner ! Actes manqués ? Non, non : oubli regrettable et grivèlerie involontaire !
Nouvel insecticide : Damien et moi veillons à nous enduire de lotion solaire. Cependant, je suis victime d’un phénomène curieux. En effet, après quelques kilomètres en bord de Loire, mon pilote me signale que je suis couvert de dizaines de cadavres de mouchettes engluées dans le duvet de mes avant-bras. Aurais-je inventé à l’insu de mon plein gré un nouveau tue-mouches ?
Orléans, Cité de la Pucelle, devenue un lieu touristique. Des trams circulent sur des sites propres verdurés.
Nous logeons pour la seconde fois dans un Ibis. Mangeons pour la seconde fois aussi dans un King Burger pas trop éloigné. Nous nous énervons encore une fois devant l’écran, passage obligé pour commander de la néfaste food. Un peu barbouillés , nous décidons de renoncer à ce genre d’alimentation.
Samedi 11 juin. Huitième étape, d’Orléans à Blois .
Démarrons un peu plus tôt que d’habitude.
Merveilleux début de journée, tout près de la Loire, sur un tronçon tout-terrain. Devons même rebrousser chemin à pied après nous être engagés sur un sentier fort pentu destiné sans doute aux pêcheurs. Un peu plus loi, croisons des chiens bruyants et un piéton irascible qui malgré la présence de panneaux pour cyclistes, prétend que le chemin est interdit aux vélos. Tâchons d’oublier cet incident, , c’était le meilleur de tous les tronçons que nous avons pu suivre : chemin un peu rock’n’roll, tous près du fleuve sauvage, temps merveilleux, nombreux VTT, plusieurs cyclotouristes au long cours, etc. Bref, nous étions les rois de l’itinéraire scandibérique.
Ce jour-là, nous croisons pas moins de cinq tandems .
Un mot sur l’ingérence persistante des Anglois : si la Loire est aujourd’hui le dernier fleuve sauvage d’Europe, c’est grâce au défunt prince Philippe, feu l’époux de la reine Elisabet II. En effet, dans les années ‘soixante, le prince, secrétaire général du World Wildlife Fund (LE WWF), a dissuadé le président Pompidou de domestiquer le cours d’eau. C’est un immense bienfait pour l’écosystème et le tourisme, mais, six siècles après la guerre de cent ans, la pauvre Jeanne doit se lamenter de l’ingérence persistante des Godons. God damn it ! Par Montjoie et Saint Denis, sus, sus aux Anglois !
Passage à Beaugency où Damien propose galamment son aide à des tandémistes en rade.
Arrivons à Blois où nous visitons le château dans lequel plusieurs meurtres ont été commis au cours des guerres de religion.
Nous traversons ensuite la Loire pour loger au troisième étage d’un vieil hôtel où mes jambes ont quelque peine à grimper les 13 + 7 + 10 + 10 +10 + 10 marches irrégulières et usées , cela en fait 60. Plus besoin de compter les moutons pour dormir !
Dimanche 12 juin Neuvième étape, de Blois à Tours.Sur l’EV3,à diverses reprises, Damien a grommelé « Comment ça, mettre pied à terre !? ». Enfin, mon euro tombe ! Au début du parcours, devant une pente raide et caillouteuse, Damien refuse une fois de plus de mettre pied à terre comme un panneau l’enjoint aux cyclistes. Si nous suivons une piste cyclable, c’est pour rouler à vélo, n’est-ce pas !
à propos des passages difficiles, j’ai oublié de demander à mon pilote la marque de ses pneumatiques souvent mis à rude épreuve le long de l’EV3 ruche de rugosités.
Halte de midi à Amboise, célèbre pour avoir hébergé Léonard de Vinci. Nous faisons carrément notre sieste au marché sur les bords de Loire.
Arrivons à Tours, dont les habitants parleraient le français le plus pur du pays. De fait, ils n’ont pas besoin de crier tant leur parler est claire et distinct. Je suis étonné par le calme de la ville pourtant sillonnée de trams. Je m’allonge sur un banc de pierre pendant que mon pilote visite la cathédrale.
Lundi 13 juin. Tours.
D’un commun accord, nous décidons de mettre fin à la balade. En effet, une canicule est annoncée autour de Bordeaux : plus de42 degrés. De plus, une bronchite nous a mis tous deux mal en point Décision est prise de retourner en train demain, mardi. Désormais la balade Bruxelles-Bordeaux s’appellera la balade Bruxelles-Tours : BBB est abrégé en BBT.
En attendant, nous nous reposons à l’hôtel.
Mardi 14 juin. Retour de Tours à Bruxelles.
Dixième et dernière étape de la balade Bruxelles-Tours, la plus dure de toutes.
Saint-Pierre-d-Port est une gare de passage . Nous embarquons le TGV (tandem à grande vitesse) à bord du TGV reliant Bordeaux à Montparnasse. Précisons en passant que ce dernier TGV s’est révélé fort lent !Une fois dans la Ville-Lumière, il nous faut foncer pour rallier la gare du Nord dans les temps. Rapidement , nous traversons Saint-Germain-des-Prés, la Seine et passons devant La Samaritaine et voyons l’indication Gare de Paris-Est. Merde! Non, pas d’inquiétude, la gare du Nord est toute proche. Vite, vite, vite, ne ratons pas le train pour Maubeuge . Ah ben, ça alors, notre train démarre avec vingt bonnes minutes de retard. C’était bien la peine de rouler dans Paris à tout berzingue. L’omnibus fait halte dans divers lieux que nous avons traversés ou contournés une dizaine de jours plus tôt.
À Maubeuge je craque et réclame une bouteille de la détestable mais omniprésente boisson gazeuse caféinée et aspartamée. Pourtant, qu’est-ce que j’ai été sobre ces derniers jours!
Une vingtaine de kilomètres paisibles nous mène à Erquelinnes. Train jusqu’à Charleroi, puis correspondance jusqu’à Bruxelles-Midi.
Cette étape ferroviaire est la plus longue et la plus dure car il faut monter et descendre le tandem et les bagages sans perdre de temps dans pas moins de cinq gares peu accessibles aux vélos et aux mirauds. Chargé de plusieurs saccoches,acroché au porte-paquet, je cours après le tandem tiré à toute allure par Damien, qui doit chaque fois embarquer et débarquer le vélo biplace sur des plates-formes tantôt hautes, tantôt basses et pas trop spacieuses pour manœuvrer un tandem.
Ce mardi 14 juin 2022, en fin de journée, nous sommes heureux de retrouver Bruxelles Retour au train-train quotidien : non pas métro – boulot – dodo, mais bien vélo – domo – dodo !
Certes, nous n’avons pas été jusqu’à Bordeaux et nous avons raccourci la balade de sept jours et de plusieurs centaines de kilomètres, mais ce n’est pas grave. Partie remise ?